Voici une analyse singulière qui me plaît beaucoup, signée Betty Pujades.
Il y a une composante dans ce roman dont j’aimerais parler.
Elle était déjà présente dans “les îles du Santal” mais j’y ai été plus sensible ici, peut-être parce que je les connaissais, étant d’origine catalane. Ce sont les odeurs.
En fait, il me semble qu’elles sont au cœur même de l’essence de ce roman, qui, grâce à elles, “sent bon l’Espagne”.
On pourrait presque leur accorder la place d’un personnage qui intervient de façon significative pour enrichir le roman à plusieurs niveaux. J’en ai détaillé 4 :
1 – Les odeurs viennent compléter la vision du quotidien.
2 – Elles sont en interaction avec les personnages
3 – L’odeur = vedette de l’action.
4 – Les odeurs s’inscrivent dans l’essence du roman dont elles soulignent la spécificité.
1/ Les odeurs viennent compléter la vision du quotidien
P35 : les fromages aux odeurs fleuries
P40 : l’odeur de linge propre, de fleurs séchées et de vieux bois.
P78 : odeurs de résine et de poussière.
P98 : l’odeur d’aubergine et de tomate confite, lard et oignon
P135 : l’air était rempli des odeurs fraîches de la rivière et des murmures du courant.
2/ Elles sont en interaction avec les personnages
P81 : “une assiette de pain, tomates, olives et serrano, arrosée d’un vin parfumé du Priorat qui l’avait mis de bonne humeur.” (à Lérida)
P115 : “il avait respiré ses cheveux, un parfum doux de fleurs séchées, d’immortelles. Il en avait ressenti un plaisir aigu.” (Nuria)
P137 : en parlant du père de Nuria : “Antoine sentit son odeur âcre de transpiration et de tabac”. (Connotation négative qui sent le rejet et le dégoût.)
3/ L’odeur a la vedette de l’action.
P85 : (au début de la 2ème partie) l’odeur de fumée réveille Antoine, quand la maison du vieil Appolo brûle.
“Une agitation confuse et une odeur de fumée. Non, de brûlé. A cette pensée, il s’éveilla d’un coup. L’odeur était bien là, réelle.”
4/ Les odeurs s’inscrivent dans l’essence du roman dont elles soulignent la spécificité.
P81 : On est en Espagne, et les odeurs apportent à Antoine la conscience d’être en terre étrangère.
“La fraîcheur était tombée, mais elle n’avait rien à voir avec le froid vif des soirées pyrénéennes. Par la fenêtre de la portière ouverte, Antoine respirait des odeurs étrangères, mates, grasses. Des odeurs lourdes de secrets envasés, entraînés par les flots lents. Des odeurs minérales aussi, venues de ces roches grises qui portaient un manteau d’arbres maigres et tortueux.”
(“secrets envasés”, les flots lents” = qui ont emporté le père d’Antoine et emporteront celui de Nuria.)
(“roches grises” “arbres maigres et tortueux” = cette partie de l’Espagne.)
Conclusion :
Ces odeurs que l’auteur sait si bien décliner à l’infini, ne seraient-elles pas une des marques de son ADN littéraire ?
Betty Pujades